
Comme chaque année, l’hiver bat son plein avec ses températures basses, ses épisodes humides et ses matins brumeux.
Au détour des conversations, on peut fréquemment entendre des phrases du genre : « je n’aime pas avoir froid », « ma voiture était encore couverte de givre ce matin », « vivement le printemps », ou encore « j’ai encore dû monter le chauffage chez moi ».
Ces réflexions peuvent sembler anodines, mais elles dénotent surtout deux croyances profondément ancrées en nous-même :
- Le fait que notre propre nature (corps et esprit) est impuissant face aux aléas du temps
- Le fait que nous pourrions agir contre la météo, et par extension contre la nature en « montant le chauffage ».
Or, on va le voir, ces deux pensées relèvent de la croyance, ou plutôt, nécessitent de développer un certain effort sur soi.
A moyen terme, ce travail devient un élément précurseur au développement d’une forme de lâcher-prise, ou tout du moins, à une décrispation face à « notre condition faible et mortelle ».
Une nature humaine peu adaptée aux aléas ?
C’est un fait : nous n’aimons pas lorsqu’il pleut et qu’il fait froid. Et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour nous en protéger.
Déjà dans l’antiquité, cette question avait l’objet d’un mythe : celui de Prométhée. Cette histoire, vraisemblablement créé vers 700 av JC, existe sous de nombreuses versions.
Celle qui nous intéresse provient de la tragédie d’Eschyle, qui raconte comment Prométhée et son frère Épiméthée étaient chargés par les dieux de distribuer aux animaux les dons nécessaires pour survivre.
Épiméthée demanda à son frère de le laisser s’occuper de cette tâche seul, et Prométhée accepta : il donna aux animaux force, courage, agilité et rapidité. Mais lorsque fut arrivé le tour des humains, il remarqua qu’il ne lui restait plus rien.
Pour éviter que nous nous retrouvions nu, sans armes et sans protection, Prométhée décida donc, avec l’aide d’Athéna, d’offrir à l’humanité le feu (des étincelles du char du soleil) qu’il rapporta sur Terre dans un bâton creux. Grâce à cela, les humains purent apprendre les techniques et fabriquer les outils nécessaires à leur survie.
Ce mythe a bien-entendu une portée symbolique : le « feu volé » correspond en fait à une forme de « lucidité divine » qui offre à l’humanité l’intelligence pour développer la technologie, nécessaire à la construction d’habitations chaudes, à la confection de vêtements, de mobiliers, etc.

Il est étonnant de constater que bien des siècles plus tard, notre « confort moderne » s’appuie toujours sur le principe de « tout miser sur la technologie ».
A coup sûr, cette idée occulte le simple fait que notre corps est bien plus résistant qu’on ne le pense.
L’espèce humaine est capable se passer de nourriture pendant plusieurs jours, de résister à des froids polaires, de résister à des températures caniculaires, de marcher ou courir au moins 50 km par jour, de humer une piste sur des kilomètres, etc. Bref, nous autres -êtres humains- sommes très flexibles, ce qui nous permet de nous adapter presque partout.
Dès lors, comment expliquer que nous soyons toujours en train de nous plaindre du temps ou des conditions, alors que nous pourrions simplement faire preuve d’acclimatation ?
Ma fille de 8 ans a une théorie : il est fréquent qu’en parlant de telles ou telles situations pour expliquer certaines réactions des gens, elle me réponde : « c’est parce qu’ils sont flemmards ! »
Pour autant, c’est bien la « flemmardise » qui a permis à l’espèce humaine des progrès dans bien des domaines. A titre d’exemple, les développements dans les sciences ou dans l’ingénierie sont souvent liés à la notion d’optimisation, ou dit autrement, à « comment être paresseux » ?
Un tel processus nous pousse à travailler notre créativité, à penser en dehors des modèles préétablis, à intégrer des paramètres multiples.
Remplir, assujettir, et dominer ?
La « force du groupe », le besoin d’optimisation, la recherche du moindre effort sont autant de qualité qui développent certes chez nous une créativité sans limite, mais qui ouvrent aussi les portes à une forme de pression sur notre environnement.
Au fil des siècles, les périodes de développement de la technique ont clairement mis en évidence un chemin où l’humanité devient de plus en plus « hors-sol » par rapport à son milieu de vie.
On se souvient par exemple de ces images remarquables de la chaine himalayenne visible depuis Jalandhar, ville du Penjab d’un million d’habitants. La mythique chaine de montagnes se situent à plus de 200 km de cette ville.

A bien y regarder, l’espèce humaine répond avec brio au « contrat » qu’il s’est fixé lui-même. Ne lit-on pas dans certains textes sacrés des éléments du type : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui rampe sur la terre » ?
Que l’on soit croyant ou pas, on ne pourra nier que nous y sommes particulièrement bien arrivés !
Mais une fois cet objectif atteint, que nous reste-t-il ?
Le risque est celui d’une vie lénifiante dans laquelle le moindre effort pourra être détourné par l’usage d’une machine ou d’un service ; une telle existence fait perdre la saveur des choses, nous rendant plus perméable à toute forme d’aléas, en exacerbant chez nous l’idée secrète que « la technique » pourra résoudre tous nos problèmes.
A bien y regarder, ou pourrait aussi se questionner sur l’importante attente de confort que l’on observe certaines fois : ne serait-elle pas le reflet d’une vie quelque peu trop lisse ?
L’ascèse comme alternative
Pour mieux goûter à la qualité de notre confort, l’ascèse constitue une voie à privilégier.
Un tel travail permet de donner de la valeur à des choses anodines, que l’on pourrait considérer comme acquise : avoir l’électricité, prendre sa voiture, prendre un bain, etc.
Un travail de cette nature ouvre la porte vers la reconnaissance vis-à-vis de soi et du monde pour la qualité de sa vie, pour son confort…
Cela nous emmène alors à se poser la question suivante : « quelle exigence je me pose à moi-même qui nécessite un effort sur moi et que je pourrais faire quotidiennement ? »

Cet effort sur soi peut prendre différentes formes, comme des exercices de respiration, un travail régulier sur sa propre éthique, la méditation, ou tout simplement un acte de gentillesse envers autrui.
L’important est de le réaliser avec sincérité, en connaissance de cause, sans que cela ne devienne non plus une corvée !
Cette forme d’ascèse, au sens grec du terme (« effort sur soi ») offre un effet de balancier et un chemin original pour lutter contre les effets sédatifs de notre vie moderne. N’est-ce pas là aussi une voie pour maintenir une forme d’humanité ?
Un petit exercice à tester
Il existe une multitude de pratiques que l’on peut trouver sur Internet, et ce blog en a déjà partagé beaucoup (se lever tôt, le jeûne partiel ou complet, la douche froide, diverses formes de méditations, etc.)
Aussi, la proposition d’aujourd’hui sera un exercice de respiration connu dans certains yogas sous l’appellation de « visamavritti » ou encore la respiration « 4/16/8 ».
Cette technique consiste à :
- Inspirer pendant 4 battements cardiaques
- Retenir sa respiration pendant 16 battements cardiaques
- Expirer pendant 8 battements cardiaques
Le tout forme un cycle, et le pratiquant est invité à en réaliser au moins 10.
Pour réaliser cette respiration, installez-vous dans un endroit au calme, assis en tailleur ou sur une chaise. En premier lieu, prenez le temps de bien ressentir votre rythme cardiaque.
Une fois que les bonnes conditions sont réunies, vous pouvez commencer.
Au début, cela n’est pas évident : au bout de 2 ou 3 cycles, la sensation de s’étouffer peut prend le dessus.
L’accomplissement d’un tel exercice tient surtout dans sa capacité à accepter la sensation de rétention d’air qui crée un léger inconfort au niveau du corps.
Le chemin vers l’introspection
Pour revenir à la question centrale « d’avoir froid l’hiver », cette question devrait nous conduire sur les chemins de l’acceptation.
On pourrait en effet voir la chose au travers du prisme teinté d’un certain humour : « on a froid l’hiver, et cela semble… assez normal ! »
Cette approche permet aussi de sortir de l’écueil d’une ascèse trop extrême qui occulterait notre créativité et la dimension du progrès, nous figeant alors dans une forme de vie d’Amish.
Le froid, la grisaille, notre impuissance sur le temps ou les phénomènes climatiques doivent nous questionner sur notre vision du monde à subir les choses (et donc les refuser), ou à « agir avec » pour mieux les accepter.
Pour prendre un exemple actuel très positif, l’augmentation du nombre de vélos en ville constitue une excellente illustration « d’agir avec » ; il est impossible d’avoir autant de confort sur sa bicyclette en plein hiver que dans une voiture chauffée.
Il y a donc là une part d’acceptation et d’ascèse à monter sur sa selle avant de partir en déplacement (le plus souvent vers son lieu de travail), car le temps ou la sensation de liberté gagnés compensent largement la perte de confort.

Travailler la qualité de l’acceptation permet de se « décrisper » vis-à-vis de l’extérieur, condition sine qua non pour toute forme de lâcher-prise. Cela offre alors un chemin d’introspection dans laquelle il est important de donner du sens à son ascèse, comme celui d’un désir fort de se maintenir dans sa nature humaine.
Accepter qu’il fasse froid, c’est quelque part accepter les aléas, et donc se détacher d’un état d’esprit d’atonie lisse et sans saveur que nous nous imposons trop souvent à nous même.
La vie est pleine de relief : à nous de les voir, de les accepter et de jouer avec.
Ne pas perdre son sens de l’humour permet quelquefois de passer au travers de bien des difficultés ! 😉
La fin de l’hiver est proche (avant le suivant). N’oubliez surtout pas de bien respirer !